INTERVIEW – JUIN 2022
La Maison médicale Espace Santé située à Ottignies, dans le Brabant wallon, fête ses 25 ans cette année. Son projet soutenu par la Wallonie dans le cadre des Stratégies concertées Covid part d’un constat : la digitalisation de nos données de santé, qui s’est accélérée pendant la pandémie, accentue les inégalités. Christine Sbolgi, coordinatrice du projet et Martine Verhelst, médecin à la maison médicale, nous parlent des ateliers numériques qu’elles ont mis en place en partenariat avec l’Espace public numérique d’Ottignies.
Pendant la pandémie, certains de vos patients éprouvaient des difficultés face au numérique. C’est ce qui a inspiré votre projet ?
Christine Sbolgi : « Lors de la pandémie du coronavirus, le public avait besoin d’accéder à des documents digitaux pour pouvoir continuer à vivre ou répondre aux difficultés liées à la Covid. Notre projet part d’un constat : cette situation était très angoissante et compliquée pour certains.
Nous rencontrions des patients angoissés, épuisés, avec une incompréhension totale de ce qu’ils devaient faire. Comment alors prendre en main sa propre santé face à toutes ces exigences numériques ?
Des membres de notre comité de patients nous ont également interpelés au sujet de cette fracture numérique, et nous avons réfléchi à une manière d’améliorer l’accessibilité aux données de santé numériques. »
Dr Martine Verhelst : « De là est née l’idée d’apporter cette compétence aux gens pour qu’ils puissent le faire eux-mêmes. Pour réduire la surcharge administrative à la maison médicale, mais aussi pour permettre au patient d’être autonome dans ses démarches. Cela renforce son estime de lui-même. »
Vos ateliers numériques dépassent le cadre de la Covid ?
Christine Sbolgi : « La pandémie nous a donné l’impulsion des ateliers, parce qu’il y avait un besoin d’accéder à des documents assez rapidement. Mais maintenant, on se rend compte qu’il y a toute une digitalisation de la santé qui s’est mise en place. Il y a un boum numérique partout.
C’est arrivé comme ça, sans qu’on ne soit vraiment au courant. Tout le monde, aujourd’hui, a une page sur masanté.be avec des données de santé. Tout le monde est censé donner un consentement éclairé pour permettre l’accès à ces données.
Notre objectif n’est pas de convaincre du bien-fondé de cette digitalisation. On essaie surtout d’aider le patient à s’en rendre compte et à se faire une opinion, à comprendre ce que sont la santé digitale et le consentement éclairé. Et de le préparer, dans l’éventualité d’une nouvelle crise, à pouvoir utiliser tous ces outils. Parce qu’en cas de pandémie, ces outils ont été utiles. »
Quel lien entre digitalisation et augmentation des inégalités en santé ?
Christine Sbolgi : « La solitude, l’isolement, c’est justement ce qui fait grandir les inégalités sociales en santé. Alors si l’on ne peut pas accéder au numérique, par exemple au CST pendant la pandémie, on ne fait que s’isoler encore plus. En facilitant cet accès, on œuvre pour la diminution des inégalités sociales en santé.
Et puis la digitalisation de la santé, ce sont aussi des données personnelles sensibles dont on ne se rend pas compte. Sur masante.be, il y a des données de santé qui pourraient être mal utilisées. Dans les violences intrafamiliales ou conjugales, il y a beaucoup de jeu autour de ces données sensibles : pouvoir savoir que son conjoint a été voir tel médecin, ou que sa fille adolescente a été voir un gynécologue… C’est délicat.
Mais cette numérisation a aussi des avantages : les gens ont la possibilité d’avoir un meilleur accès à leur santé. Le fait de pouvoir gérer sa santé, retrouver ses résultats, comprendre les documents, avoir une autonomie sur son dossier, comprendre ce qu’est le consentement éclairé ou le don d’organes… peut accroître l’autonomie et la confiance en soi, sortir de l’isolement, aider à être proactif. C’est l’empowerment, donc être dans le pouvoir d’agir sur sa santé. »
Il y a donc encore du travail pour améliorer l’accès aux données de santé digitales et la compréhension de tous leurs enjeux…
Christine Sbolgi : « Bien sûr, on ne peut pas arrêter le progrès, mais il faut se rendre compte que les inégalités ne font que grandir avec cette digitalisation. Et que l’accès à la santé doit être pour tous de manière égale. Si tout est digitalisé, plein de gens ne peuvent pas s’impliquer. »
Dr Martine Verhelst : « Cette digitalisation est une machine à renforcer les inégalités. Et ce constat-là est horrible. C’est pour ça que l’on fait les ateliers, et que l’on s’investit aussi dans la réflexion des Stratégies concertées. Car il faut mieux tenir compte des publics marginalisés dans cette digitalisation qui est utile. Il y a énormément d’avantages, mais aucun système n’est parfait. Donc c’est perfectible, pour veiller à ne pas renforcer l’exclusion des publics non numérisés. »